Néférou-Ra
Charles Marie Leconte De Lisle



Khons, tranquille et parfait, le Roi des Dieux thébains,
Est assis gravement dans sa barque dorée :
Le col roide, l'oeil fixe et l'épaule carrée,
Sur ses genoux aigus il allonge les mains.

La double bandelette enclôt ses tempes lisses
Et pend avec lourdeur sur le sein et le dos.
Tel le Dieu se recueille et songe en son repos,
Le regard immuable et noyé de délices.

Un matin éclatant de la chaude saison
Baigne les grands sphinx roux couchés au sable aride,
Et des vieux Anubis ceints du pagne rigide
La gueule de chacal aboie à l'horizon.

Dix prêtres, du Nil clair suivant la haute berge,
D'un pas égal, le front incliné vers le sol,
Portent la barque peinte où, sous un parasol,
Siège le fils d'Ammon, Khons, le Dieu calme et vierge.

Où va-t-il, le Roi Khons, le divin Guérisseur,
Qui toujours se procrée et s'engendre lui-même,
Lui que Mout a conçu du Créateur suprême,
L'Enfant de l'Invisible, aux yeux pleins de douceur ?

Il méditait depuis mille ans, l'âme absorbée,
A l'ombre des palmiers d'albâtre et de granit,
Regardant le lotus qui charme et qui bénit
Ouvrir son coeur d'azur où dort le Scarabée.

Pourquoi s'est-il levé de son bloc colossal,
Lui d'où sortent la vie et la santé du monde,
Disant : Jirai ! Pareille à l'eau pure et féconde,
Ma vertu coulera sur l'arbuste royal !

Le grand Rhamsès l'attend dans sa vaste demeure.
Les vingt Nomes, les trois Empires sont en deuil,
Craignant que si le Dieu ne se présente au seuil,
La Beauté du Soleil, Néférou-Ra ne meure.

Voici qu'elle languit sur son lit virginal,
Très pâle, enveloppée avec de fines toiles ;
Et ses yeux noirs sont clos, semblables aux étoiles
Qui se ferment quand vient le rayon matinal.

Hier, Néférou-Ra courait parmi les roses,
La joue et le front purs polis comme un bel or,
Et souriait, son coeur étant paisible encor,
De voir dans le ciel bleu voler les ibis roses.

Et voici qu'elle pleure en un rêve enflammé,
Amer, mystérieux, qui consume sa vie !
Quel démon l'a touchée, ou quel Dieu la convie ?
Ô lumineuse fleur, meurs-tu d'avoir aimé ?

Puisque Néférou-Ra, sur sa couche d'ivoire,
Palmier frêle, a ployé sous un souffle ennemi,
La tristesse envahit la terre de Khêmi,
Et l'âme de Rhamsès est comme la nuit noire.

Mais il vient, le Roi jeune et doux, le Dieu vainqueur,
Le Dieu Khons, à la fois baume, flamme et rosée,
Qui rend la sève à flots à la plante épuisée,
L'espérance et la joie intarissable au coeur.

Il approche. Un long cri d'allégresse s'élance.
Le cortège, à pas lents, monte les escaliers ;
La foule se prosterne, et, du haut des piliers
Et des plafonds pourprés, tombe un profond silence.

Tremblante, ses grands yeux pleins de crainte et d'amour,
Devant le Guérisseur sacré qu'elle devine,
Néférou-Ra tressaille et sourit et s'incline
Comme un rayon furtif oublié par le jour.

Son sourire est tranquille et joyeux. Que fait-elle ?
Sans doute elle repose en un calme sommeil.
Hélas ! Khons a guéri la Beauté du Soleil ;
Le Sauveur l'a rendue à la vie immortelle.

Ne gémis plus, Rhamsès ! Le mal était sans fin,
Qui dévorait ce coeur blessé jusqu'à la tombe
Et la mort, déliant ses ailes de colombe
L'embaumera d'oubli dans le monde divin !


  


Commentez ce poème