Sans connaissance aucune en mon Printemps j'étais
Pernette Du Guillet



Sans connaissance aucune en mon Printemps j'étais :
Alors aucun soupir encor point ne jetais,
Libre sans liberté : car rien ne regrettais
En ma vague pensée
De mols et vains désirs follement dispensée.
Mais Amour, tout jaloux du commun bien des Dieux,
Se voulant rendre à moi, comme à maints, odieux,
Me vint escarmoucher par faux alarmes d'yeux,
Mais je vis sa fallace :
Parquoi me retirai, et lui quittai la place.
je vous laisse penser, s'il fut alors fâché :
Car depuis en maints lieux il s'est toujours caché,
Et, quand à découvert m'a vue, m'a lâché
Maints traits à la volée :
Mais onc ne m'en sentis autrement affolée.
À la fin, connaissant qu'il n'avait la puissance
De me contraindre en rien lui faire obéissance,
Tâcha le plus qu'il peut d'avoir la connaissance
Des Archers de Vertu,
Par qui mon coeur forcé fut soudain abattu.
Mais elle ne permit qu'on me fît autre outrage,
Fors seulement blesser chastement mon courage,
Dont Amour écumait et d'envie, et de rage :
Ô bien heureuse envie,
Qui pour un si haut bien m'a hors de moi ravie !
Ne pleure plus, Amour : car à toi suis tenue,
Vu que par ton moyen Vertu chassa la nue,
Qui me garda longtemps de me connaître nue,
Et frustrée du bien,
Lequel, en le goûtant, j'aime, Dieu sait combien !
Ainsi toute aveuglée en tes liens je vins,
Et tu me mis ès mains, où heureuse devins,
D'un qui est hautement en ses écrits divins,
Comme de nom, sévère,
Et chaste tellement que chacun l'en révère.
Si mainte Dame veut son amitié avoir,
Voulant participer de son heureux savoir,
Et que par tout il tâche acquitter son devoir,
Ses vertus j'en accuse
Plus puissantes que lui, et tant que je l'excuse.

(Chanson VI)


  


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