Marigodages : le crapaud, la grenouille et la belle

Marigodages : le crapaud, la grenouille et la belle

Il était une fois un crapaud vert et boutonneux, qui vivait seul sur son petit nénuphar crasseux. Le crapaud n'était guère apprécié de ses compagnons de mare : la libellule aux longues ailes moquait volontiers ses gros membres courts, le cygne, élégant et pur, se dégouttait de sa bave glauque et cela allait jusqu’aux canards, au chant pourtant disgracieux, qui trouvaient ridicules ses coassements solitaires et pathétiques.

Pourtant le crapaud était un animal bon et sage, toujours prêt à partager son nénuphar avec une salamandre démunie, de bon conseil pour tous lorsque survenait l'orage qui transformait la paisible mare en enfer d'eau et de boue ou lorsque venaient les hommes avec leurs appâts et leurs épuisettes.

Une petite grenouille timide, qui verdissait à la moindre émotion, vivait non loin de là, sur une jolie berge ombragée, entre deux roseaux protecteurs. Tous les animaux de la mare connaissaient la jolie créature et les plus fiers venaient parader, l'air de rien, devant les deux roseaux qui ondulaient sous la brise. Le cygne, plumes lissées, cou droit, fendait l'onde, le regard porté au loin, à l'horizon de sa vanité ; le brochet, fort et vif, troublait l'eau de ses vigoureux coups de queue, lubriques et imbéciles ; le colvert aussi venait caqueter et dandiner bêtement du croupion et parfois, se croyant intéressant, il plongeait gober un ver de vase...

Mais la petite grenouille, verdissant de ces audaces, aimait d'un amour vert pomme le vilain crapaud. Bien sûr il n'était pas très beau, mais la grenouille, qui avait lu beaucoup de contes, savait que la laideur n'est qu'un artifice du Grand Créateur de la Mare qui dissimule aux petites grenouilles superficielles la grandeur d'âme des crapauds !

Cette histoire aurait pu être un nouveau conte, de ceux que les mamans lisent à leurs enfants le soir pour les bercer de douceur, si n'était venue un jour se baigner dans la mare une princesse voisine. Grande, belle et peu farouche, son altesse avait plongé nue au milieu de ce petit monde, troublant l’eau de quelques vagues et la sagesse du crapaud de désirs charnels.
A la vue de la belle sortant de l'onde, son sein marmoréen, ses jambes infinies, sa blondeur d'ange, notre crapaud perdit toute sagesse et, croassant tout ce qu'il pouvait, se rua à sa suite :

« Princesse je suis petit, vert et laid mais j'ai trouvé l'amour à l'ombre de vos courbes ! Croyez en moi et je vous apporterai ce qu'aucun Prince ne vous apportera jamais. »

La princesse n'avait pas lu beaucoup de contes car sa mère la reine, la négligeant, lui laissait la télévision allumée pour s’endormir. Lorsqu'à ces mots elle vit le cygne, beau et fier, qui passait derrière le crapaud, elle replongea dans l’eau son corps si désirable, pour aller, loin de notre batracien transi, enlacer ce long cou soyeux autant qu'inutile.

Le crapaud fut bien triste de constater que les contes l'avaient trompé sur la sagesse des princesses, et la petite grenouille fut bien déçue de voir que la sagesse du crapaud ne résistait pas à la première naïade venue.

Le crapaud finit sa vie en vieux célibataire, toujours aussi laid mais désormais aigri. La grenouille épousa le colvert inconséquent, qui cocufia son innocence ennuyeuse avec tous les croupions de la mare. Quant à la princesse et au cygne, ils vécurent trois jours d’une idylle imbécile mais torride. Quand le spectacle réciproque de leurs vanités les lassa ils s’en retournèrent à leur quotidien de séduction sans avenir.

Morale : les contes sont plus faciles à écrire qu'à vivre.


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