Le Myrte

Le Myrte

On sait qu’il y avait autrefois, dans la dépression entre Puivert et Nébias, un magnifique lac entouré de forêts.

Le Génie de ce lac aimait les filles des hommes, et la preuve en était que jamais garçon ne s’y était noyé, tandis que les filles ou les femmes qui avaient voulu seulement y tremper le bout des pieds, s’étaient senties attirées et happées, et avaient à jamais disparu.

En ce temps-là, Aline de Puivert venait d’être fiancée au chevalier de Saint-Amans, dont le château dressait ses hautes tours en Lauraguais, entre Gaja-la-Selve et Mireval.

Les fiancés ne s’étaient pas encore vus ; mais leurs parents leur avaient persuadés, à l’un comme à l’autre, que ce mariage était très bien.

Le chevalier de Saint-Amans qui était à la guerre, envoyé à Puivert des lettres fort aimables et des présents de toute sorte qu’Aline recevait avec indifférence.

– Je l’aimerai, sans doute, quand il sera mon mari, mais à présent, je me sens le cœur vide et tranquille.

Or, un soir de printemps, un soir de clair de lune, Aline et trois amies allaient dans le chemin creux qui descendait du château jusqu’au lac.

Soudain les feuilles frissonnèrent et la chouette poussa son cri.

– C’est signe de mort, dit une jeune fille.

Aline pensa au chevalier de Saint-Amans, puis elle dit :

– S’il ne revenait pas, je m’en consolerais.

Et les quatre amies éclatèrent de rire.

Elles arrivèrent sur un rocher au bord du lac, tout près d’un petit bois de myrtes.
Elles parlaient tout bas.

– Voyez l’image de la lune !

– C’est le Génie qui nous regarde.

– Il veut nous attirer à lui.

Un peu émues du silence, du lac perfide et de la clarté de la nuit, elles se tenaient par la main et se penchaient sur l’eau.

Une voix s’éleva derrière elles et leur dit :

– Prenez gardes, jolies filles, prenez garde de tomber !

Elles eurent un frisson de peur, se laissèrent les mains, se retournèrent, et dans ce mouvement, Aline glissa sur le rocher.

Elle serait tombée dans le lac, et se serait certainement noyée, si, rapide comme l’éclair, un garçon n’avait bondi, ne l’avait prise par la taille et ne l’avait portée aux pieds des myrtes.

Tout cela avait duré à peine le temps de dire : " Ah ! ".

Les quatre jeunes filles restèrent un instant stupéfaites, puis se reprirent la main, et rentrèrent en courant à Puivert, haletantes, le cœur battant, comme si le Génie du lac les poursuivait.

Dans la cour du château, rassurées, elles se mirent à rire de l’aventure.

– Comment était-il, ce garçon ? interrogeait Aline.

– Il était vraiment beau.

– Je n’ai pas eu le temps de le voir et ne l’ai pas remercié. J’en ai peine et regret. Il était beau, dites-vous.

– C’était le plus joli visage de garçon qu’on puisse imaginer.

– Où s’en est-il allé ?

– Il a fui dans le bois.

– Comment étaient les yeux de mon sauveur ?

– Comme les vôtres, Aline, grands et noirs.

– Nous reviendrons demain au bois de myrtes…

Elles revinrent au même endroit et n’y virent personne. Et Aline rentra le cœur gros. Son sauveur elle ne le verrai donc plus ?

Et depuis lors, elle fut pâle et languissante. Ses parents, inquiets, consultèrent astrologues, sorciers et médecins, qui répondirent :

– Le mariage la guérira.

Bientôt on reçut à Puivert la nouvelle que le chevalier de Saint-Amans allait venir. Tout le monde en fut joyeux. Seule, Aline était triste.

Et quand le chevalier fut là, il s’étonna de trouver, jolie sans doute, mais blanche et faible comme un fantôme, cette fiancée qu’on lui avait dit épanouie comme une belle fleur.

Elle lui conta, pour s’excuser, l’aventure du lac.

– Ce mal appris vous a jeté un mauvais sort, dit-il. Si je le trouve, je le pourfends avec ce sabre, qui en a tant d’autres pourfendus.

– Oh ! chevalier, disait Aline, que vous me faites peur !

– Je le saignerai, vous dis-je, comme un porcelet. Mais changeons de sujet. À quand le mariage ?

– Ne voulez-vous pas attendre, ami, que je sois revenue à la pleine santé ?

Ce fiancé, décidément, lui déplaisait. Il était violent, brutal, parlait trop fort, roulait des yeux terribles, disait des mots grossiers et avait des manières vulgaires.

Sur ces entrefaites, un messager des âmes vint dire au château de Puivert qu’on trouverait le jeteur de sorts, dans le bosquet de myrtes, la nuit de Sainte Aline, entre neuf et dix heures, s’il faisait clair de lune.

Et quand la nuit de Sainte Aline fut venue, comme la lune s’était levée splendide, le chevalier de Saint-Amans fourbit son sabre, et descendit au lac provoquer le manant qui avait osé toucher à sa fiancée.

Aline tremblait comme une feuille dans l’orage. Elle essaya de détourner le chevalier de ce projet qu’elle jugeait funeste. Ce fut en vain ; il s’entêta.

Impuissante et désespérée, elle suivit le chevalier dans le chemin creux et ses amies l’accompagnèrent.

Et quand ils arrivèrent, elle vit au-dessus des myrtes une tête de jeune homme, une très belle tête.

Elle eut envie de lui crier :

– Allez-vous en, mon doux seigneur. Un méchant en veut à votre vie !

Elle ne dit rien, pensant que peut-être, elle était seule à voir ce beau visage dans les myrtes.

Mais les autres, après elle, le virent, et même une étourdie ne put s’empêcher de crier : " C’est lui ! "
Le chevalier l’aperçut enfin, et, furieux, s’élança, sabre au clair, comme à la guerre.

Or, juste à cet instant, un lourd nuage passa devant la lune, et il fit noir. Un vent de tempête souffla, le lac gronda, toutes les feuilles murmurèrent. Et à travers ce vacarme, on entendit le sabre siffler dans l’air, tandis qu’une voix douce comme une plainte, disait des mots qu’on ne comprenait pas.

Tout à coup le chevalier cria :

– Je le tiens, cette fois, je le tiens par le cou !

Le nuage était passé, la nuit à présent, était claire, le vent s’était apaisé, tout était calme comme avant la bataille.

– Je le tiens par le cou !

Effrayées, les jeunes filles regardèrent, et virent le chevalier qui serrait dans sa main une branche de myrte.

– Donnez-la moi, dit Aline, avec douceur.

Elle la prit, la porta au château dans sa chambre, la couvrit de baisers, la posa sur son lit…

Le lendemain on la trouva morte avec le myrte dans ses bras.

Conte de l'Aude
PIERRE VALMIGÈRE


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