L'écureuil

L'écureuil

L'écureuil. Ou comment la jolie Nathalie de Chalabre passa la nuit de Noël de sa vingtième année.

Il y avait une fois, au Cazal de Chalabre, une pauvre femme qui gagnait péniblement sa vie. Elle avait un fils qui s’appelait Gros-Jean. Il était beau et paresseux. Elle l’adorait ; elle disait à tout le monde :

– Mon Gros-Jean ne sera pas comme moi, misérable. Je saurais lui trouver un métier qui fait devenir riche.

Mais tout le monde lui riait au nez. Ces gens pauvres et simples pour qui la vie n’était qu’une longue fatigue, ne pensaient qu’il fût possible à des paysans de s’évader de leur misère.

Or, un soir dans la forêt de Sainte-Colombe, notre bonne femme fit rencontre d’un sorcier qui lui dit :

– J’ai ton affaire. Je me charge d’enseigner à ton fils l’art de se changer en toutes sortes d’animaux et de reprendre chaque fois sa forme humaine après six jours. Je le garderais trois ans, et te le rendrai alors, si seulement tu peux le reconnaître. Sinon, il restera à mon service.

– Que je ne reconnaisse pas mon Gros-Jean, s’écria la bonne femme, moi qui lui ai donné la vie, qui l’ai nourri et qui ne l’a jamais quitté !

Elle le laissa sans trop de crainte et, après lui avoir fait ses adieux, retourna au Cazal, soutenue, à présent, par l’espérance que son fils connaîtrait un jour le métier qui fait devenir riche.

Quand les trois ans furent passés, elle prit le chemin de la forêt. Dans une clairière, elle vit le sorcier au milieu d’un grand nombre de vaches.

– Tu viens chercher ton fils ? dit-il. C’est une de ces vaches. Regardes-les. Tu sais mes conditions. Elles n’ont pas changées.

La pauvre femme fut perplexe. Elle fit le tour de la clairière, regarda les vaches l’une après l’autre dans les yeux, et enfin elle dit :

– Celle-là est mon fils !

– Tu as raison, dit le sorcier. J’ai perdu. Emmène-la, elle est à toi.

La bonne femme revient toute heureuse au village. Elle pensait :

– Mon Gros-Jean connaît à présent la magie. Au bout de six jours, il redeviendra un jeune homme. En attendant, j’aurai son lait. Je lui ai donné le mien quand il était petit ; maintenant, c’est lui qui va me nourrir.

En effet, il resta vache pendant six jours, puis redevint Gros-Jean comme devant, mais plus grand et plus beau.

Sa mère l’embrassa, lui fit fête, puis elle lui dit :

– Tous ces jours-ci, mon fils, j’avais ton lait en abondance et j’étais presque riche. Qu’allons-nous devenir à présent ?

– Ne te mets pas en peine, petite mère, dit Gros-Jean. Attendons l’occasion.

Cette année-là, décembre fut splendide. Le ciel était bleu, il faisait doux et tout le monde était dehors. La fille du château, la jolie Nathalie, qui venait juste d’avoir vingt ans, passa par le Cazal ; elle aperçut notre Gros-Jean, et se dit :

– Ce garçon est plus beau que tous mes prétendants ; c’est dommage qu’il ne soit qu’un paysan…

Gros-Jean, lui aussi, avait vu Nathalie et leurs regards s’étaient croisés ; mais jamais il n’aurait osé lui parler. Pensez donc : la fille du château !

Cependant, il ne dormit pas de la nuit, il n’avait qu’elle devant les yeux. Le lendemain matin, il dit à sa mère : je serai absent quelques jours, attends-moi.

Et la mère pensa : Mon Gros-Jean va chercher aventure.

Il partit vers Chalabre. En chemin, il se changea en écureuil, sauta de branche en branche et arriva dans le parc du château. Au pied de l’arbre où il était, il entendit une voix douce qui disait :

– Je voudrais aimer un jeune homme qui soit bon et beau. Tous ceux qui sont venus à moi me déplaisent. Je ne suis cependant pas difficile, et je ne suis pas fière. Ce paysan que j’ai vu hier au Cazal, me plairait : il est plus beau que les fils des seigneurs… Je voudrais aimer et être aimée…

Alors l’écureuil descendit de l’arbre et se posa devant la jeune fille. Elle tendit la main pour le caresser. L’animal se laissa faire.

– Que vous êtes joli, mon petit écureuil, disait-elle. Beaux yeux étincelants, fourrure soyeuse, queue en panache ; que vous êtes joli !

Folle de lui, elle l’emporta au château et le garda constamment auprès d’elle. Tout le jour elle jouait avec lui. Quand il lui caressait avec sa queue les lèvres ou le cou, elle éclatait de rire. Le soir, elle le prenait dans son lit et lui disait : " Bonne nuit, mon petit ami, dormez bien, jusqu’à demain matin. "

Ce beau manège avait duré six jours.

Or la sixième nuit, qui était la nuit de Noël, Nathalie, après avoir assisté à la messe de minuit, et convenablement réveillonné, monta dans sa chambre et coucha, comme les autres soirs, l’écureuil auprès d’elle. Elle vit ses paupières trembler. Elle pensa qu’il avait la fièvre, et le serra contre son cœur.

Or ce n’était pas de fièvre que l’écureuil tremblait. C’était d’inquiétude. Il savait qu’il allait redevenir Gros-Jean cette nuit même, et il se demandait s’il était décent de rester en forme de jeune homme dans le lit de cette jeune fille.

– Bonne nuit, mon petit ami, dormez bien jusqu’à demain matin. L’écureuil ferma les yeux et Nathalie s’endormit tout de suite parce qu’il était très tard.

Bientôt, elle sentit des lèvres qui baissaient les siennes. Elle crut que c’était un rêve que le petit Jésus lui envoyait, un joli rêve de Noël ; et le baiser continuait très long, très doux. Elle n’ouvrit pas les yeux, pour ne pas que le rêve s’envole. Elle se sentait embrassée, caressée, enlacée de plus en plus étroitement.

– Je dors encore, disait-elle, quand je serais tout à fait éveillée, hélas, tout cela s’en ira…

Elle finit bien par se réveiller, et elle vit qu’elle était dans les bras d’un vrai jeune homme, elle eut honte, et voulu se lever et s’enfuire… mais elle se sentit plus faible que l’autre ; et cet autre avait des yeux très beaux et des regards très doux ; à la lueur de la veilleuse rouge, elle le reconnu : c’était le grand jeune homme qu’elle avait admiré au Cazal… Ils restèrent un instant silencieux et inquiets, puis se demandèrent l’un et l’autre pardon. De quoi ? ils ne savaient pas bien, mais ils se pardonnèrent et causèrent gentiment jusqu’au matin.

Et à peine levée, Nathalie alla dire à son père :

– Si vous vouliez me donner pour mari, ce jeune homme, j’en serai très heureuse.

– Pour mari ? ma fille. Il est fort bien, sans doute, et d’agréable mine ; mais qui est-il ? d’où vient-il ? Je ne le connais pas !

– Il n’est encore que Gros-Jean du Cazal, mais il sera comte si vous voulez, puisque de fils, vous n’avez point.

Les noces eurent lieu une semaine après, juste le premier jour de l’an. Gros-Jean alla chercher sa mère, l’installa au château, et tout le monde fut heureux.

Et les paysans disaient entre eux, avec un air malin :

– La mère de Gros-Jean est une fine mouche. Elle a trouvé pour son fils, le métier qui fait devenir riche…

Conte de l'Aude
PIERRE VALMIGÈRE


Commentez cet article