Épître
Marguerite De Navarre



Si Dieu m'a Christ pour chef donné,
Faut-il que je serve autre maître ?
S'il m'a le pain vif ordonné,
Faut-il du pain de mort repaître ?
S'il me veut sauver par sa dextre,
Faut-il en mon bras me fier ?
S'il est mon salut et mon être,
Point n'en faut d'autre édifier.
S'il est mon seul et sûr espoir,
Faut-il avoir autre espérance ?
S'il est ma force et mon pouvoir
Faut-il prendre ailleurs assurance ?
Et s'il est ma persévérance,
Faut-il louer ma fermeté ?
Et pour une belle apparence,
Faut-il laisser la sûreté ?
Si ma vie est en Jésus-Christ,
Faut-il la croire en cette cendre ?
S'il m'a donné son saint écrit,
Faut-il autre doctrine prendre ?
Si tel maître me daigne apprendre,
Faut-il à autre école aller ?
S'il me fait son vouloir entendre,
Faut-il par crainte le celer ?
Si Dieu me nomme son enfant,
Faut-il craindre à l'appeler père ?
Si le monde le me défend,
Faut-il qu'à son mal j'obtempère
Si son esprit en moi opère,
Faut-il mon courage estimer ?
Non, mais Dieu, qui partout impère*,
Faut en tout voir, craindre et aimer.

(*) règne


  


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